Habitation Néron - Distillerie ancienne
L’Habitation Néron se situe au Moule, nord-est de la Grande-Terre. Elle fût créée en 1740 par le planteur Pierre Néron Beauclair.
Rénovée, elle se visite en semaine uniquement de 9 à 17h et fait partie de la Route de l’Esclavage de la Guadeloupe.
Nous vous proposons ici de visualiser l’Habitation Néron avant sa rénovation pour la visite avec encore toutes les anciennes machines de la distillerie laissées à l’abandon à sa fermeture en 1965
Derrière cette visite, c’est tout un symbole de la colonisation, de l’esclavagisme, de la société des planteurs jusqu’à l’époque moderne qui se déroule dans cette Habitation.
Une sucrerie du XVIIIe siècle
Dès son établissement, l’Habitation Néron est autonome en tout point, possède son eau via des mares reliées entre elles et des canalisations. L’habitation comprend l’ensemble des bâtiments nécessaire à la transformation de la canne en sucre raffiné, la maison de maître, celle du géreur, et les cases des 100 esclaves.
Au XVIIIe siècle, l’industrie sucrière devient la principale activité agricole des Antilles.
Les planteurs, la plupart du temps déjà installés en Basse-Terre, propriétaires terriens et possédant des esclaves, prennent possession des nouvelles concessions du nord de la Grande-Terre.
Pour obtenir une concession, il faut prouver avoir les moyens financiers pour l’installation des usines et d’un grand nombre d’esclaves. Le pouvoir politique, judiciaire et économique de la Guadeloupe est rapidement détenu par une caste de riches planteurs dès le début de la colonisation qui sécurise ses biens et la distribution des terres dans sa caste. Les planteurs, sucriers, sont tous des blancs européens et, par mariages et associations, conservent et font vivre leur patrimoine jusqu’à la révolution. Le planteur sucrier a un titre de noblesse ou, a minima, de Sieur.
Les planteurs de café, coton, vivres, et autres, sont en partie blancs et en partie « de couleur » issus du métissage et des affranchissements d’esclaves. Seuls les blancs (ou classés comme blancs) parmi ces dits petits planteurs peuvent accéder au statut de sucriers et au titre de Sieur. Dans tous les cas, tous ces planteurs possèdent des esclaves.
L‘Habitation Néron s’inscrit pleinement dans cette histoire. La famille Néron est d’abord planteurs à Baillif, puis Trois-Rivières, un fils, François Néron Beauclair fait l’acquisition de cette terre et y installe une sucrerie. L’ajout de Beauclair au nom de famille permet de dissocier les branches d’une même famille en associant le nom de l’habitation dont il ont propriétés ou qui y sont nés. La pratique est courante au XVIIIe siècle en particulier chez les sucriers.
La sucrerie indivisible
Afin de protéger la prospérité des sucreries, les planteurs ont fait passé un décret ne permettant pas de diviser une plantation sucrière et ses usines lors d’une vente ou d’un héritage. L’ensemble doit être conservé en seul lot. Aussi, lors des partages d’héritages, un seul hérite de la sucrerie et doit produire une rente pour ses co-héritiers ou d’être en capacité de payer leurs parts en échéances convenues.
Cette situation entraîne des mariages entre familles dans une première génération, tel un échange d’enfants afin que les transferts d’héritages et dotes permettent de conserver les terres sans trop s’endetter. Les mariages consanguins deviennent fréquents dès la deuxième générations des planteurs de Grande-Terre.
Esclaves meubles ou immeubles
La population servile du XVIIIe est issue d’Afrique, via la traite négrière. Ce sont donc des Africains, transportés de force et mis en servilité à vie dans les plantations.
Deux types d’esclaves existent sur une plantation :
- Les cultivateurs et ouvriers du sucres, sont immeubles. Ils ne sont pas dissociable de la sucrerie et ne peuvent être vendus à part.
- Les domestiques et artisans sont meubles, ils peuvent être vendus, donnés en dote aux filles mariées, partagés lors de l’héritage.
Plan d'une habitation sucrière
L’Habitation sucrière Boivin Beaumont est similaire à celle de Néron, de la même époques, des mêmes familles. Sur ce plan exceptionnel, la vue d’ensemble permet de voir les différentes plantations : cannes, café, vivrières. Au centre, et plus visibles sur l’image détaillée, l’organisation sociales avec les bâtiments à sucre alimentés par des mares, la maison de maîtres, les cases des esclaves, différents bâtiments servant d’ateliers divers.
Sources : Archives départementales
La Chapelle de l’Habitation Néron où le père Tricot avait des soldats durant la 2e guerre mondiale sous un texte mentionnant Place Maréchal Pétain. Ceci donne une idée du genre de parti pris des grands planteurs même à cette époque…
Évolution de l'habitation
Période coloniale
Jusqu’à la révolution l’Habitation Néron évolue peu. Elle fait partie intégrante du paysage des grands planteurs de canne, qui forment une aristocratie locale. La vie n’y est pas pour autant paisible.
Un système de caste au sein même des esclaves est en place pour bien contrôler la servitude. Les planteurs vivent de façon ostentatoire et dépendent pour beaucoup de crédits quasi-permanents auprès des négociants des bourgs qui sont les exportateurs des produits à destination de la métropole. Les habitations se vendent et se rachètent au sein de la caste très souvent. Comme toutes les plantations les esclaves sont soumis à des brutalités inhumaines.
Les différents aléas du climat et la situation sismique de l’île mettent souvent à terre bâtiments et production. Ajoutons aussi les différentes crises économiques liées au marché du sucre et/ou liées aux guerres avec les Anglais. Ces situations font que la vie de la plantation n’est jamais stable longtemps, mais elle perdure tout de même jusqu’à la Révolution Française.
Révolution et époque moderne
Comme beaucoup de grands planteurs, le propriétaire de l’Habitation Néron, le Sieur Hussey, prend parti pour les royalistes et fait parti des suppliciés de 1794.
Les habitations laissées par leurs maîtres sont mises sous séquestres et gérer pour le compte de la nation. L’Habitation Néron est mise sous séquestre puis rendue à la veuve Hussey et ses enfants en 1801.
Si l’esclavage finit par être définitivement abolie en 1848, les sucreries continuent de fonctionner et les propriétaires continuent de changer régulièrement parmi les familles possédantes de Guadeloupe et Martinique. En 1818, l’Habitation Néron est propriété de Nicolas Bourgoin, en 1859 de M. de Bouglon.
En 1913, la famille Fabre en est à la tête la transforme en distillerie à rhum. En 1933, la famille Beuzelin acquière l’Habitation et modernise la distillerie.
La distillerie ferme ses portes en 1965 et reste en l’état jusqu’à sa rénovation récente intégrée dans le parcours « Route de l’esclavage ».
Photos inédites de l'Habitation Néron
Ces photos ont été prises en 2005 avant le nettoyage et la sécurisation du site pour les visiteurs. Les machines et certains bâtiments ont disparu. Cliquez sur les images pour les agrandir !
Sources documentaires
Voici une sélection de film, roman et essais historique sur les plantations sucrières en Martinique et Guadeloupe pour parfaire nos connaissances sur ces époques troublantes.
Film : Rue Cases Nègres
Le film s’intéresse à la situation sociale des enfants illégitimes issue d’un père maître d’habitation et d’une esclave au travers d’un jeune garçon. Poignant de réalisme.
Roman : Le commandeur du sucre
Premier tome d’une trilogie sur la situation des esclaves dans une habitation sucrière et la formation d’une chaine de commande liée à la couleur basé sur des faits historiques avérés.
Livre : Les maîtres de la Guadeloupe
Essais historique de l’historien Frédéric Régent universitaire à Paris factuels basé sur une importante et conséquente recherche documentaire, édité en 2015.